Le procès de Jérôme Cahuzac est l'occasion pour les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot de décrire dans le détail l'affaire à laquelle le nom du ministre de l'économie et des finances de François Hollande est lié. On y apprend que l'évasion fiscale élaborée pour son propre intérêt par celui-là même qui avait à charge de traquer les fraudeurs serait sans doute resté secret si un différent entre les époux Cahuzac n'avait pas tout étalé sur la place publique et si un enregistrement fortuit, d'un Jérôme Cahuzac imprudent, n'était pas après de longs détours et de longues années tombé entre les mains d'un journaliste de Médiapart. Les sociologues s'appliquent à décortiquer la mécanique des événements, montrant comment dans les hautes sphères la rétention de l'information est un procédé pour protéger l'un de ses membres, comment s'organise - pour peu qu'on appartienne à la caste des nantis et des hommes d'influence ! - tout un système de défense afin de minimiser une condamnation à l'égard d'un homme non pas mouton noir mais symbole de ce qui devrait rester caché aux yeux du vulgum pecus. Les jeux de connivences entre hommes politiques de tout bord, les accointances entre eux et une certaine presse sont mis en lumière. Sans le travail de la presse indépendante et sans la pression de l'opinion publique, Jérôme Cahuzac n'aurait peut-être pas eu à répondre devant les tribunaux de ses turpitudes et malversations financières. Etienne Lécroart qui se met en scène dans le rôle du candide réussit par ses dessins, où l'humour est au service du sérieux, à clarifier les systèmes volontairement complexes et opaques, la caricature permet une lecture ludique, fluide et effarante. "Les riches au tribunal" est l'album de référence sur une affaire qui a décrié la chronique et qui donne la mesure, face émergée de l'iceberg qu'elle est, du système d'évasion fiscale organisé quasi mafieux d'une certaine caste de la société française. Un album d'indignation salubre !

Auteurs : Monique Pinçon-Charlot, Michel Pinçon-Charlot et Etienne Lécroart

Hakim était un jeune homme à la situation bien établie quand le souffle du printemps arabe a touché la Syrie, quand la contestation a gagné la rue et quand la répression de Bachar El Assad et ses sbires a frappé plus violemment que jamais. Hakim avait créé sa pépinière et dirigeait sa petite entreprise avec sérénité mais il n'a pu échapper ni aux difficultés économiques liées aux troubles dans le pays qui tendaient vers la guerre civile ni aux contrôles, aux arrestations arbitraires et aux tortures. Est venu le temps où fuir le quartier, puis la ville puis le pays est apparu comme la meilleure solution - une solution dite provisoire en attendant un retour prochain au pays ! - mais cela ne se fait ni sans déchirement ni sans difficulté d'organisation. Hakim est parti seul, laissant sa famille en Syrie, pour gagner le Liban... Fabien Toulmé trouve une nouvelle fois, après Ce n'est pas toi que j'attendais et Les deux vies de Baudoin - deux formidables albums ! - le ton juste pour parler d'un sujet grave. Il se met en scène recueillant la parole de ce déraciné qu'est Hakim, en donnant à suivre dans le détail son périple durant lequel les solidarités familiales se renforcent et les rencontres fortuites conduisent parfois à quelque issue heureuse. Le récit place le lecteur dans une attention bienveillante et donne corps, chair et âme à tous les forcés à l'exil. L'Odyssée d'Hakim est un album empathique et de salut public.

Auteur : Fabien Toulmé

Le petit Bode a mis la main sur une nouvelle clé et découvre son pouvoir extraordinaire. Il en fait la démonstration devant son frère et sa sœur aînés qui n'en croit pas leurs yeux, il faut dire que le pouvoir se déploie d'une façon assez peu ragoûtante... Le grand frère Tyler va vouloir se servir du pouvoir pour l'aider dans ses études et accessoirement pour impressionner et draguer une de ses camarades de classe. Dodge, l'ami de Tyler, sera lui aussi mis dans le secret mais il apparaît qu'il a bien des idées derrière la tête. La série se révèle excellente au fil des tomes, ce deuxième volume montre une nouvelle fois le talent graphique de Gabriel Rodriguez au dessin proche de celui d'un John Romita Jr et le scénario de Joe Hill est un joli jeu de virtuosité et d'inventité tant par ses dialogues ciselés que par l'agencement des événements. Une série remarquable !

Auteurs : Joe Hill et Gabriel Rodriguez

Difficile de faire son deuil, quand son père, proviseur dans un lycée, a été sauvagement assassiné à son domicile par un de ses élèves et son acolyte. C'est pourtant ce que doivent entreprendre Tyler, Bode et Kinsey dans leur nouvel environnement, loin du lieu du drame, au côté de leur mère qui trouve l'oubli dans ses dives bouteilles. Le manoir qui les accueille recèle bien des secrets, notamment un puits dont l'écho répond à Robe, le plus jeune des enfants, d'une manière assez peu rationnelle... De plus, Robe parvient à quitter son corps pour devenir fantôme... Ils ignorent encore que le manoir cache des clés aux pouvoirs fantastiques et que l'agresseur de leur père vient dans cette demeure à seule fin de les trouver. Le récit a un rythme dense et trépidant, le lecteur se trouve embarqué sur les rives de l'au-delà et ne peut lâcher l'aventure avant d'atteindre la dernière page.

Auteurs : Joe Hill et Gabriel Rodriguez

La Belgique a fait face au scandale dit du "caoutchouc rouge"  et la France ne veut pas vivre la même chose, quand les journaux s'emparent en 1905 de "l'affaire Gaud et Toqué" par laquelle tortures et actes de barbarie sont mis en lumière et quand les socialistes à l'Assemblée questionnent le gouvernement sur les exactions des colons au Congo français. Une mission est diligentée pour démontrer que la cruauté révélée dans l'affaire n'est qu'un cas isolé, circonscrit. Pierre Savorgnan de Brazza, qui bénéficie d'une aura et d'une estime sans pareille, est nommé à la tête de cette enquête administrative.  Il va devoir sur le terrain faire face aux mauvaises volontés locales et son rapport va être d'une tout autre teneur que ce qu'attendait de lui le ministère, en effet le comportement esclavagiste et violent des colons à l'égard des populations autochtones, la mainmise des compagnies commerciales sur le pays, le laisser-faire voire le soutien de l'administration et de l'armée sont étayés. Le gouvernement se garde de rendre public le rapport ou même ses conclusions, il le range au placard au point que la communauté des historiens a pendant longtemps pensé qu'il était perdu, détruit. A la déchéance de l’œuvre dite civilisatrice de la France s'ajoute l'ignominie du secret. L'album de Tristan Thil et Vincent Bailly redonne à la vérité un peu de sa place. Indispensable ! 

Auteurs : Tristan Thil et Vncent Bailly