Ida appartient à la grande bourgeoisie suisse de la fin du XIXe siècle. Elle a la trentaine triste, elle se confine dans sa chambre, ne quitte plus son lit et se plaint de mille maux. Son médecin luit prescrit l'air marin, elle s'en va donc avec bagages, domestiques et grandes robes en crinoline dans le Sud de la France, puis s'apercevant que le remède fait son effet elle pousse un peu plus loin vers l'Espagne puis traverse la méditerranée pour mettre pied au Maroc. Elle écrit ses impressions de voyage et travaille à la rédaction de guides de tourisme pour le compte d'un éditeur français. Elle a un véritable sens de la répartie et ne s'en laisse pas conter par les hommes qui tentent de la décourager dans son entreprise, elle reste droite dans ses bottes et dans ses robes, elle a un caractère bien trempé. Elle va aller jusque dans des contrées dangereuses d'Afrique noire, être la captive du roi du Dahomay, se glisser quelque temps sous la protection d'une congrégation de bonnes soeurs,... Elle sent combien ses voyages lui sont profitables, qu'à parcourir le monde sa vision, son point de vue sur les choses change, qu'elle perd de cet esprit candide dont les hommes voudraient que les femmes ne se départissent jamais. Elle n'est pas dupe de l'emprise délétère voire mortifère des colons sur les différents pays qu'elle traverse. Ce récit est une ode au voyage, à l'émancipation, à l'ouverture, à l'esprit critique, à la curiosité, à la découverte de l'ailleurs, de l'autre et de soi. Chloé Cruchaudet a réalisé un récit graphique au ton badin et à l'humour d'une finesse quasi aristocratique, un récit des plus fluides et construit avec une grande cohérence, poétique et sensuel par ses dessins. Un très grand plaisir de lecture !

Auteur : Chloé Cruchaudet

Le narrateur, bien que Chilien, a vécu son enfance et adolescence en Afrique du Sud, pays où ont émigrés ses parents. Son père, spécialiste de la prospection des ressources minières, y a facilement trouvé du travail, fuyant au début des années 70 les nationalisations annoncées par le nouveau Président chilien, Salvador Allende. Le narrateur, après des études commerciales dans le secteur des matières premières, fait carrière à Londres sur le marché des métaux lourds. Les rencontres qu'il y fait lui permettent de saisir que son pays est encore tiraillé par un passé récent, d'autant qu'Augusto Pinochet lors d'un séjour privé en Angleterre y est retenu par la volonté d'un juge, déterminé à ce qu'il réponde des exactions commis durant sa dictature. L'album démarre sur la jeunesse du narrateur mais aussi sur celles de Salvador Allende et  d'Augusto Pinochet, restituant la part d'humanité des protagonistes de cette histoire et donnant à celle-ci une véritable incarnation. Puis au fil du récit est expliqué le cheminement d'Allende pour son arrivée au pouvoir et enfin l'accession par la force d'Augusto Pinochet. Le coup d'état est raconté comme vécu au plus près, heure par heure, dans le Palais de la Moneda, c'est tendu, violent... jusqu'au suicide du Président. "Maudit Allende !" est un album vibrant, il en émane beaucoup d'émotion de la première jusqu'à la dernière page. Les dessins évoluent au fil de l'album, pour donner une ambiance différente en fonction des moments, ils ont parfois une certaine analogie avec le dazibao ou le graffiti politique mural. Beau et émouvant !

Auteurs : Jorge Gonzalez et Olivier Bras

Célestin ne cesse de voler de femme en femme, à la recherche de celle qui voudra bien l'épouser pour lui faire regagner le rang duquel il pense être issu. Abandonné à la naissance, il est convaincu que ses parents sont de la noblesse car le tissu soyeux et délicat dans lequel il a été retrouvé, bébé, semble en témoigner. Célestin est surtout un doux rêveur qui va se piquer de séduire la fille du roi... mais la Révolution guette ! Wilfrid Lupano trousse un joli récit loufoque, les dialogues jouent avec les mots et les situations. Les dessins de Yannick Corboz sont ajustés à cette ambiance badine, les personnages ont des trognes et des expressions à faire rire plus d'un lecteur. L'album est divertissant à souhait !

Auteurs : Yannick Corboz et Wilfrid Lupano

Marcel est un petit garçon précoce, il a su par mimétisme déchiffrer les lettres, les syllabes, les mots et les ânonner avant même que sa maîtresse d'école n'en entame l'apprentissage. Il a maintenant huit ans et voue une admiration sans borne à son père, instituteur pour qui tout est une leçon de chose. Pour les vacances, son oncle, sa tante, ses parents, son frère, sa toute petite soeur et lui investissent une maison dans la garrigue. Les enfants sont tout à la joie de jouer dans la nature et de s'inventer mille histoires. L'oncle et le père se préparent à une journée de chasse à laquelle Marcel aimerait bien en être. L'adaptation BD du roman autobiographique éponyme de Marcel Pagnol en restitue agréablement l'ambiance. Le ton est plein des émerveillements, des frustrations, des candeurs et des bonheurs du petit Marcel.

Auteurs : Morgann Tanco, Eric Stoffel et Serge Scotto

Fujimoto est un fonctionnaire qui accomplit sa mission si ce n'est avec zèle en tout cas avec le sentiment de servir la nation. 24h avant l'échéance, il a à charge de donner un préavis de mort à chacune des personnes à qui, lors des campagnes systématiques de vaccination, a été inoculée une capsule dont l'effet létal est programmé pour survenir entre l'âge de 18 et 24 ans. Cette mort programmée est un des fondements de la société qui permet de faire saisir à toute la population la valeur de la vie. Les réactions des avisés sont très diverses et Fujimoto est fort surpris de voir avec quel enthousiasme non feint la dernière personne à qui il a remis l'ikigami a accueilli la nouvelle de sa propre mort... Il a été éduqué avec l'idée qu'être choisi - même si le choix est le fait du hasard ! - est un grand honneur. Sa fin ne va pas être aussi glorieuse qu'il l'escomptait car sa jalousie et sa vanité vont lui attirer un humiliant revers. A vouloir être exemplaire et digne d'éloges, à faire de la délation un exercice de probité, à chercher l'admiration dans le regard que les autres portent sur lui, il va subir la vindicte. Malgré le tour tragique de l'histoire, elle a par son caractère orwellien l'avantage de montrer l'absurdité d'une société qui érige la mort en totem et en fait une valeur d'asservissement. Cette société totalitaire qui ne dit pas son nom traque les déviants et Fujimoto en qui insensiblement s'insinue le doute sur le bienfondé de sa mission semble un future candidat aux programmes de rééducation. Cette série en 10 tomes se présente en son mitan comme une des meilleures tant par sa construction que par son ambition. Du très haut de gamme !

Auteur : Motorô Mase