Dover W. Smith est dorénavant étudiant dans la prestigieuse université d'Eton. Il va connaître la dure loi infligée par les élèves de dernière année à l'encontre des nouveaux venus. En plus de ses brutalités, il est écrasé par un sentiment de culpabilité à l'égard de sa mère et de Julia, la femme de son protecteur, femme secrètement aimée, il conçoit de noirs desseins dont vont réussir à le détourner des amitiés notamment avec Eric Blair, futur George Orwell, mais aussi des escapades auprès de celle qu'il aime. Dans le deuxième volet de cette autobiographie réaliste au point de faire oublier qu'elle est fictive, le lecteur s'attache plus encore au personnage qui est à la fois narrateur et au centre de l'histoire, le lecteur suit son évolution au fil des ans, vibre au rythme de ses émois et déboires et s'immerge dans ce contexte particulier qu'est le lendemain de la Première Guerre Mondiale dans les écoles anglaises formant les élites de la nation. Un pur plaisir !

Auteurs : Guillaume Martinez et Christian Perrissin

Jun Sang, en 1947, est un petit garçon de 8 ans qui vit en Corée du Nord. Il est le chef des jeunesses patriotiques de son quartier, il a la chance d'être né le jour anniversaire du vénéré dirigeant Kim Jong-Il et il prend de fait un peu pour lui les festivités organisées en l'honneur du Très Grand. Les occasions de se réjouir ne sont d'ailleurs pas très nombreuses dans ce pays où la propagande, l'endoctrinement et la délation sont des pierres angulaires mais cela n'a pas l'air de gêner Jun Sang qui n'a jamais connu autre chose, il est même un zélé citoyen en accord avec la doctrine du parti même si les incartades de la jeunesse lui valent parfois un peu plus que des réprimandes. Au fil des événements, les vérités assénées par la dictature vont vaciller dans la conscience de Jun Sang et, même si cela ne se fera pas sans mal, il va ouvrir les yeux sur toute la violence et l'hypocrisie du régime de Pyongyang. La narration faite par le petit d'homme qu'est Jun Sang donne au récit un ton emprunt d'innocence mais qui se désagrège peu à peu au gré de la gravité des faits qui sont exposés. Mélanie Allag use dans son graphisme du style kitsch et naïf des dessins de propagande avec des couleurs franches et très contrastées pour amener le lecteur dans cet univers surréaliste qu'est la dictature de la dynastie des Kim. La découverte de ce pays le plus fermé au monde se fait de l'intérieur comme une graduelle descente aux enfers, le voyage se fait oppressant au point d'en être mal à l'aise pour le petit héros qui subit bien plus que des vicissitudes. L'album décrit par la fiction bien mieux que n'importe quel documentaire la réalité de la dictature nord-coréenne. Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag ont réalisé là un album de grande facture.

Auteurs : Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag

Un photographe, Joseph Wallace, bien établi dans la ville de Pittsburgh se voit proposer en 1867 de participer à une mission d'exploration de l'Ouest américain sur les traces des anciens pionniers. L'expédition est à l'initiative du gouvernement fédéral des Etats-Unis et à but scientifique, à savoir cartographier cet Ouest de moins en moins sauvage, de faire un état des lieux grâce aux éminents scientifiques de l'Est qui composent l'équipe. Le photographe abandonne sa vie confortable, laisse derrière lui femme et enfants et part pour cette aventure. Il va s'en trouver transformer, notamment par les paysages grandioses traversées, par la rencontre d'une tribu indienne, les Oglalas, et par le rapport que ces autochtones entretiennent avec la nature mais aussi par l'appétit cynique des colons blancs de tout mettre à profit quitte à tout détruire. Ce voyage est tout autant une épopée intérieure qu'une découverte physique d'un territoire. Il y a une part de romantisme dans le récit mais cette part est de peu de poids face à la violence des hommes, à leur capacité de nuisance. Joseph Wallace est déchiré entre deux mondes, celui des indiens et celui des hommes blancs et à cela s'ajoute le fait que les photographies quasi ethnologiques qu'il a prises durant cette mission sont trop peu nombreuses et seront effacées par des entreprises plus tardives mais beaucoup plus ambitieuses. Cet album est d'une grande justesse, émeut et donne au coeur bien des palpitations !

Auteurs : Thierry Murat

Un savant, Maître Hannibal accompagné de sa fille et de ses serviteurs, précédé par sa renommée et fuyant une fatwa lancée contre lui arrive dans la cité et forteresse de l'Empereur Stupor Mundi. Le lieu est unique dans toute la chrétienté, la raison, les sciences y sont honorées et les plus grands esprits peuvent y trouver un refuge contre la bêtise et l'ignorance. Avant que l'Empereur ne revienne en son château, il faut qu'Hannibal retrouve le procédé qui lui permet de faire apparaître une image sur une toile mais surtout la solution chimique qui fixe cette image sur son support. Sans quoi, il risque de causer bien du déplaisir à l'Empereur et de perdre sa protection. Le récit se fait à plusieurs voies, celle de la fille d'Hannibal, Houdê, n'est pas l'une des moindres, c'est avec l'aide d'un personnage versé dans l'exploration des méandres de l'esprit et notamment des éléments refoulés du passé, qu'Houdê va faire surgir de sa mémoire des souvenirs douloureux jusque là occultés expliquant bien des choses. L'album est dédié à une période médiévale d'avant la Renaissance où la religion a une emprise délétère sur les hommes mais dont certains cherchent à s'affranchir. Le récit est ambitieux sans être pompeux, au contraire il est d'une fluidité au point d'être un modèle de réussite narrative en bande dessinée.

Auteur : Néjib